Etre bénévole en soins palliatifs : « C’est l’amour qui est important ! »

Publié par le 24 avril 2024

Rencontre avec Marie-Madeleine Jacques, ex-bénévole en soins palliatifs

Marie-Madeleine Jacques a été bénévole en soins palliatifs pendant de longues années. Après avoir intégré la Plate-Forme de Soins palliatifs et l’Equipe de soutien de Charleroi en 2013, elle a sillonné les routes de la région pour se rendre au chevet de multiples patients, leur offrant présence et écoute à domicile. A 66 ans, alors qu’elle a emprunté de nouveaux chemins, elle jette un regard reconnaissant sur cette expérience passée car, si elle a beaucoup donné, elle dit aussi avoir beaucoup reçu.

Quand as-tu commencé ton bénévolat en soins palliatifs ?

J’ai commencé ce bénévolat en 2011. Les premières années, c’était dans le cadre d’un service oncologie de jour en milieu hospitalier. Et puis, je dirais que « j’ai eu un appel » : j’ai voulu aller là où on « cocoonait » davantage les gens. En fin de compte, il s’agit de faire aux autres ce qu’on voudrait pour soi. Me sentant ainsi poussée, je me suis orientée en 2013 vers la Plate-Forme de Soins palliatifs et l’Equipe de soutien de Charleroi où j’ai été bénévole durant une dizaine d’années. J’y ai d’abord suivi une formation qui m’a semblé très complète car elle donnait suffisamment d’outils pour exercer un bénévolat à domicile. Il a fallu attendre avant d’aller sur le terrain car il y avait des questions d’assurances à régler. Et ensuite, je me suis lancée ! Amandine et Carolien, les psychologues qui m’encadraient, ont demandé si je souhaitais être accompagnée lors des premières visites, mais je n’en ressentais pas le besoin. J’étais prête. De plus, j’étais à l’époque aussi bénévole dans une unité de soins palliatifs en hôpital. Si mon bénévolat en milieu hospitalier m’a aidée, j’ai réalisé au fil du temps que je préférais le domicile.

Pourquoi ?

Simplement parce qu’on est sur le lieu de vie des personnes. On sent qu’on est accueilli comme si on était de la famille. Nous étions plusieurs bénévoles à partager ce ressenti. En milieu hospitalier, c’est plus impersonnel, alors qu’au domicile, on voit des photos, on découvre leur cadre de vie et cela offre aussi des sujets de conversation. Par ailleurs, en clinique, je restais moins longtemps auprès d’un patient car il y avait plusieurs chambres. A domicile, je pouvais passer 4h auprès d’une même personne si c’était opportun.

Combien d’heures de bénévolat prestais-tu par semaine ?

Je prestais 4h/semaine maximum, parfois moins. Comme je n’avais pas de voiture, les trajets en transports en commun étaient parfois longs. Mais ils m’étaient très utiles car je consacrais ce temps à me recentrer, je me relaxais pour que mon mental ne s’emballe pas. En effet, on peut éprouver des craintes quant à ce qui va se passer. Mais je me disais que la vie allait me présenter des situations auxquelles je ferais face et desquelles j’apprendrais pas mal de choses. Et c’est vrai ! J’ai appris à faire énormément confiance à la vie. Alors qu’au début, l’inconnu me faisait peur, j’ai réalisé que je me suis vraiment découverte grâce à ce bénévolat.

En quoi t’es-tu découverte ? Qu’en as-tu retiré ?

Le bénévolat, on en tire une richesse personnelle. Au départ, je ne me suis pas dit que j’allais m’y investir pour en retirer quelque chose. Mais c’est magnifique ce qu’on découvre sur soi ! J’ai été confrontée à des tas de situations différentes et je m’y adaptais. Il y avait des personnes qui n’étaient plus capables de parler, par exemple, et avec lesquelles le contact se faisait par ma main posée sur la leur… Il n’y a pas besoin de faire des choses extraordinaires pour aider. Parfois un sourire, c’est à la fois peu de choses et ça peut illuminer la journée… Et pour moi aussi ! J’avais également des contacts avec la famille et ça se passait bien. Je n’ai jamais eu de problème. En fait, j’avais la sensation d’avoir au fond de moi un éventail d’outils que je pouvais utiliser selon ce que la vie me présentait. Il fallait juste faire confiance et éviter de laisser le mental s’interposer, ce mental qui aurait eu tendance à me dire : « Est-ce que je vais être capable ? ». Quand on est timide, ces questions peuvent surgir. Mais lorsque je quittais un domicile, je me disais : « Je ne savais pas que j’étais capable de ça ! ». Ca m’a beaucoup aidée dans mon évolution car lorsque j’étais plus jeune, on se moquait souvent de moi et je doutais beaucoup de moi-même. Mais quand on s’engage dans ce type de bénévolat, on est en quelque sorte protégé car les personnes qui sont dans la douleur ne jugent pas : elles sont là pour accueillir et sont reconnaissantes de ce qu’on leur apporte. Ce bénévolat, c’était le seul endroit où je ne devais pas me cacher. Je pouvais être moi-même, simplement Marie-Madeleine, et je me découvrais à travers les personnes que je rencontrais. Quelqu’un qui pense qu’il n’est pas capable d’accompagner des personnes en fin de vie serait peut-être surpris de découvrir le potentiel qu’il a au fond de lui-même.  

Et puis, tu bénéficiais aussi du soutien des psychologues…

Oui, en tant que bénévole, on est bien entouré. On sait que si on a le moindre problème, on sera écouté par les psychologues. Savoir cela me permettait de lâcher prise. Cet encadrement est utile car au domicile, contrairement au milieu hospitalier, nous sommes seuls avec la personne. Amandine et Carolien étaient vraiment extraordinaires. Il y avait entre nous un respect mutuel. Et même si elles nous invitaient à les appeler au moindre problème, j’avais aussi le besoin de faire le point avec moi-même. Dès que je quittais un endroit, je profitais du trajet du retour pour réfléchir à ce que j’avais ressenti. J’intégrais les émotions et je me disais : « Ca, je le garde ! » ou « Fais attention à cela, Marie-Madeleine ! » Si je n’avais pas fait le point avec moi-même ainsi, au fur et à mesure, je n’aurais pas pu faire ce bénévolat pendant autant d’années.

Ce n’était pas difficile d’être toujours confrontée à la mort ?

Quand on va chez les gens, on ne pense pas à la souffrance. On pense à donner de l’amour. On sait que la personne va mourir, mais ce n’est pas cela qui prime.  C’est l’instant présent qui compte. Et je m’étais trouvé une formule : chaque fois que je quittais quelqu’un, je lui disais toujours intérieurement au revoir comme si c’était la dernière fois que je le voyais. Quand je sentais que l’entourage vivait cette situation difficile avec colère, je me sentais parfois dépassée et une phrase me venait spontanément : « Je me sens bien impuissante ! » En prononçant ces mots, je reconnaissais mon impuissance, sans jouer un rôle de sauveuse. A travers ces rencontres, j’ai appris ainsi que j’étais en lien avec ces personnes. C’est le lien avec la vie, avec le Tout, et pour les gens, c’est une goutte d’amour et toutes ces petites gouttes d’amour, c’est déjà beaucoup !

Dans les situations auxquelles j’étais confrontée, les choses se mettaient en place d’elles-mêmes car le fait de donner de l’amour, d’apporter présence et empathie permet à l’autre de se sentir compris. Je ne devais pas faire grand-chose. Je pouvais simplement être moi. J’avais le droit d’être là avec mon amour. Et c’est l’amour qui est important. L’amour, c’est universel et toutes ces familles étaient des familles de cœur. Il y a des gens chez qui je suis restée un an et demi et, à une occasion, je me suis même rendue aux funérailles lorsque la personne est décédée car j’étais intégrée dans la famille. C’était un cas exceptionnel dans mon bénévolat. Mais si pour le bénévole, c’est important de terminer quelque chose en assistant à l’enterrement, il peut le faire.

Quelles sont les qualités d’un bénévole en soins palliatifs ?

Avoir envie d’aider, avoir envie d’être relié à son cœur. Etre soi, simplement. Simple. Les gens aiment la simplicité. Si vous le prenez de haut, le lien ne se fera pas de la même façon. Les études qu’on a faites n’ont aucune importance. Ce sont les qualités humaines qui comptent. Et un tel bénévolat, c’est aussi l’occasion de prendre sa place. On donne de soi, mais on reçoit beaucoup aussi. J’ai dû apprendre à recevoir car cela m’était difficile. Pas des choses matérielles.  J’ai reçu des choses qui me transportent encore aujourd’hui. Et puis, chacun a en soi des facultés qu’il ne soupçonne pas. On n’est jamais sur un chemin pour rien, même si on ne rencontre la personne qu’une seule fois. Tout dans l’existence est une leçon de vie.

Et malgré tout, tu as décidé d’arrêter à un moment…

Oui, j’ai arrêté, non pas parce que je n’étais pas contente. Autant j’ai senti l’appel, autant j’ai senti à un moment que le temps était venu de me retirer, de passer à autre chose. Et depuis, j’écris beaucoup. Je suis certaine que ce que j’ai vécu, ce qui a évolué en moi cicatrise des choses et je les couche par écrit. J’aime écrire. J’écris pour moi. Avant, je n’avais pas le temps, mais maintenant est venue l’heure de mettre tout cela sur papier.

Propos recueillis par Milena Merlino, coordinatrice de projets auprès de la Plate-Forme de Concertation en Soins palliatifs du Hainaut oriental

Vous aussi, vous aimeriez être bénévole en soins palliatifs ?

Vous pouvez prendre contact avec Amandine Demanet (Plate-Forme de Concertation en Soins palliatifs du Hainaut oriental) et Carolien Boeve (Equipe de Soutien Charleroi Sud-Hainaut) au 071/92.55.40 ou par email volontariatpfes@gmail.com